Hem, la fabrique d’un quartier

Hem (Nord), 2005-2009

Opération de renouvellement urbain – quartier des Hauts Champs

Tisser les franges

Contexte et commande

Le quartier des Hauts Champs est constitué de cinq îlots de maisons en bande, appartenant principalement au bailleur social Logicil (Groupe CMH). Il est situé à Hem dans le nord de la France. Au coeur de quatre de ces îlots plus de 400 garages ont été construits définissant des espaces clos, minéraux et en cul-de-sac. Ces garages délabrés, indépendants des maisons, servent parfois à des activités illicites. Leur positionnement a contribué à développer un sentiment d’insécurité, progressivement renforcé par la vacance des garages.

L’objectif de l’étude pour laquelle nous avons été mandaté est d’aboutir, à partir de la problématique des garages, à « un projet partagé » d’évolution du quartier, qui se traduise par la restitution d’un rapport sur le fonctionnement de chacun des îlots, des scenarii d’organisation et un plan-masse. Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un dossier A.N.R.U.

Il nous a semblé, lors de la mise en projet de cette commande, que les difficultés des Hauts Champs relevaient du découpage de l’espace public et de l’espace collectif, d’une méthode d’intervention par les franges et enfin celui d’un recensement des pratiques et des compétences habitantes sur lesquelles s’appuyer pour le projet. L’identification de ces trois champs problématiques nous a conduit à proposer une intervention singulière.

Trois principes de travail fondent la démarche :
  • L’interscalarité : travailler le projet en articulant les échelles de l’objet, du bâtiment, de l’îlot, du quartier et de la ville ;
  • L’interdisciplinarité : analyser et proposer des actions en équilibrant au mieux les dimensions sociale (usages), sensible (ambiances) et technique (construit) ;
  • L’implication : mettre en place un processus qui implique et rend possible l’expression et l’écoute des trois maîtrises : maîtrise d’ouvrage – maîtrise d’œuvre – maîtrise d’usage.
Trois modalités d’action sont constituantes du projet :
  • La récitation consiste à lire et faire dire le lieu pour poser les bases du projet. Il s’agit d’établir un état des lieux urbain et social par l’accomplissement d’une lecture urbaine (formes, règlements, usages), la mise en oeuvre de parcours collectifs spécifiques aux trois maîtrises et l’organisation de visites-entretiens au domicile de chaque habitant. Chaque îlot fait l’objet d’un rapport synthétisant les trois lectures du lieu (base de données, cartographies thématiques, paroles thématisées) et énonçant les enjeux du projet à venir.
  • L’exposition, dans une volonté de retournement d’image, consiste à recueillir l’histoire du lieu et la mémoire de ses habitants et de ses acteurs (collectivités locales, bailleur…) pour contribuer à valoriser ce quartier et ses habitants. Transversal à chaque îlot, ce travail se concrétisera au printemps 2008 par un ouvrage articulant des paroles habitantes, un regard photographique et un retour aux archives présentant le projet urbain initial (fin des années 50) et ses évolutions.
  • La conception consiste à produire des scénarii d’aménagement des coeurs d’îlots, traduits en plans masses, qui prennent à la fois en compte les modes de vie des riverains, la réalité urbaine et ses évolutions à toutes les échelles (plans d’organisation urbaine, coupes sur voirie, propositions d’agréments d’habitat). Pour cette phase, l’apport des habitants a été crucial pour déterminer finement les problématiques locales (comme par exemple le besoin d’espaces de réserve), s’appuyer sur les pratiques existantes et pointer les enjeux et les échelles des transformations nécessaires.

Chaque action se définit en relation étroite avec la maîtrise d’ouvrage et donne lieu à chaque étape à un rendu public et à un document remis à l’ensemble des acteurs, habitants compris.

Le projet proposé se décline à trois échelles :

L’échelle urbaine

La récitation à l’échelle du quartier a été réalisée sous forme de parcours collectifs impliquant des élus et des techniciens de la Ville, des professionnels de la gestion urbaine (voirie, espaces verts…), des représentants du bailleur et bien entendu, des habitants.

Ces parcours ont permis de comprendre les représentations liées au lieu, le vécu et la perception des habitants sur leur environnement et d’identifier les grandes problématiques du quartier, notamment la vitesse excessive des voitures, les sens de circulation, l’encombrement des ordures sur l’espace public, les inondations des caves… Ces parcours ont donné lieu à la mise en forme de livrets, dont un exemplaire a été donné à chacun des participants.

A l’issue de ces parcours, des observations urbaines, paysagères et des orientations (discutées avec la maîtrise d’oeuvre), un schéma d’organisation du quartier a été réalisé (hiérarchisation des voies, ouverture de l’îlot, implantation de nouvelles habitations, gestion du devant/derrière…). Son objectif est de résoudre les problèmes récurrents d’insécurité, de délabrement, de saleté en offrant des espaces de meilleure qualité.
Cette intervention favorise la connexion entre les différents îlots et les espaces publics attenants, renforce les liens à l’échelle urbaine et évite l’enclavement.

L’échelle de l’îlot

Cette intervention a été menée suite à la phase de récitation et plus particulièrement à partir du recueil de données effectué logement par logement dans chaque îlot (taux de 90% de foyers rencontrés). L’apport des habitants a permis l’émergence des problématiques propres au lieu (stationnement, circulation, jardins, inondations, utilisation des garages, gestion des encombrants…)

A l’échelle de l’îlot, l’enjeu principal est de modifier sa morphologie en : – démolissant l’ensemble des garages généralement vétustes et délabrés, – ouvrant son coeur vers l’extérieur par la création de nouvelles voiries à l’emplacement de l’accès aux garages, – en diversifiant la typologie des maisons.
Cette démarche permet de valoriser le foncier du bailleur tout en offrant de nouvelles possibilités d’habiter.

L’échelle de la parcelle

La phase de récitation a permis de faire les constats suivants : – une utilisation modérée des garages pour du stationnement de véhicule, mais importante pour du stockage et du bricolage ; – la récupération des eaux de pluie très fréquente à partir de l’eau de ruissellement sur les toits des garages ; – l’importance des devants de maison et le sentiment de n’être pas digne de ses invités au moment de l’accueil (odeurs, jardin peu entretenu…).

La mise à jour de ces usages et représentations habitantes nous a permis d’appuyer aussi le projet de requalification sur ces espaces extérieurs attenants à la maison qui n’étaient pas prévus dans la commande de départ.
La perte du garage est compensée par des interventions portant sur les espaces du jardinet et du jardin. Situé côté rue, le jardinet intègre avant tout un certain nombre de fonctions importantes (identité, n° rue, boîte aux lettres, emplacement poubelles…).

Au-delà de ces fonctions, il joue le rôle de « vitrine du chez soi » qui révèle l’esprit (et l’entretien) de la maison et annonce la qualité d’accueil que l’on peut recevoir.
L’état actuel des jardinets, au dire des habitants et à la confirmation de visu, ne reflétait pas l’esprit attendu.
Le jardin est l’espace de repli, privatif et « secret » à l’abri d’autrui où l’on respire et se sent libre de faire (presque) tout ce que l’on veut. Cet extérieur hautement personnel est agrémenté par un intérieur
qui doit être le plus polyvalent possible pour répondre aux besoins les plus divers de chacun (rangement, bricolage, stockage…).

Des ateliers de conception participative avec les habitants ont été organisés (avec l’aide de la Ville et
de l’agence locale de Logicil) pour définir au mieux le cahier des charges de deux projets d’objets utiles pour chacun et participant au changement d’image du quartier : une console multifonctions pour les devants de maison et un abri de jardin pour les arrières. Ce dernier, en plus d’être modulable (espace de réserve, de bricolage, pièce complémentaire, etc.) doit permettre de récupérer l’eau de pluie et selon les conditions, l’eau de la rosée.
Avec la collaboration de Daniel Beysens (physicien), nous proposons des toitures optimisées pour la formation et l’écoulement de l’eau de rosée, représentant 10% d’eau en plus par an, mais parfois 100% en été quand il ne pleut pas. Ce détail participe aussi au changement d’image du quartier.

Conclusion

Le projet est aujourd’hui dans des phases d’avancement différenciées selon les îlots. L’îlot D est sur le point d’être construit : les permis de construire et démolir ont été déposés. L’îlot I est en phase de composition par la maîtrise d’oeuvre et les deux derniers îlots sont en phase de restitution du projet aux habitants. La conception participative des abris et consoles a eu lieu et le bailleur fait les tests constructifs. Quant au travail de mémoire, le livre doit sortir en 2008.

Composition de l’équipe

Co-responsables de l’étude : Jean-Michel Roux (urbaniste) & Nicolas Tixier (architecte)

La récitation

Responsable : Marie-Christine Couic (urbaniste, sociologue)
Graphisme des parcours collectifs : Serge Chaniac (graphiste)
Collaboration : Catherine Aventin (architecte), Suzel Balez (architecte), Karine Houdemont (architecte) et de nos collaborateurs plus ponctuels. Expertise de Paulette Duarte (sociologue)

L’exposition

Responsable : Catherine Aventin, avec Marie-Christine Couic et Suzel Balez
Enquête et rédaction : Catherine Aventin, Jean-Michel Roux et Charles Ambrosino
Travail photographique : Maryvonne Arnaud
Graphiste : Serge Chaniac

La conception

Responsable : Peter Wendling (architecte)
Collaboration de : Karine Houdemont et de Marie-Christine Couic

Maitrise d’ouvrage

Groupe CMH (Logicil), Ville de Hem
Projet 2005-09

BazarUrbain Éditions

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